La Dernière frontière
Volodia PetropavlovskyPoussé par un irrésistible appel, j’ai décidé, à l’âge de vingt et un ans, d’y vivre ma grande aventure : deux mille kilomètres de canoë d’un bout à l’autre de l’Alaska, par la rivière Tanana puis le fleuve Yukon. J’ai souhaité partir de manière simple, un sac à l’épaule et un appareil photo sous la main. En accord avec l’esprit des explorateurs d’antan qui me faisaient tant rêver, j’ai opté pour la radicalité : pas de balise de détresse, pas de téléphone ni même de GPS. « By fair means », à la loyale, comme disent les Anglais.
Il n’y a pas, dans cette démarche, de quête du bonheur ou d’un idéal de liberté. Comment se prétendre libre alors que l’on navigue courbé dans le vent, sur une coque de trois mètres de long ballottée par les flots ? Tout cela, j’y songe durant le vol qui relie l’Europe à l’Alaska. Une broutille : onze heures pour rattraper la course du soleil. Remonter dix fuseaux horaires et avoir le sentiment d’un retour aux origines du monde. La disparition des axes de communication et des maisons annonce les terres boréales. L’étendue des vallées recouvertes de taïga me donne le vertige. Ce paysage m’offre le premier aperçu de l’environnement qui sera le mien durant les trois prochains mois.